Lectures complémentaires
- Article de Kabat-Zinn, J. (2011): « Some reflections on the origins of MBSR, skillful means, and the trouble with maps » et pour une traduction en français ici.
- Extrait (pp. 100 – 102) de Teasdale, J. D. and Chaskalson, M. (2013). How does mindfulness transform suffering ? I : The nature and origins of dukkha. In J. Mark G. Williams and Jon Kabat-Zinn, Mindfulness. Routledge, New York.
En l’absence d’un cadre de compréhension pour la guider, l’application des pratiques de la Pleine Conscience aux problèmes de stress, de troubles émotionnels et autres se réduirait l’enseignement et l’apprentissage à une série de techniques. Ceci donnerait aux étudiants l’occasion d’apprendre comment contrôler certains aspects de leur attention, ce qui leur permettrait de rassembler et de poser leur esprit. Ils acquerraient ainsi principalement des outils de concentration, similaires à ceux enseignés dans d’autres pratiques de concentration, comme la méditation transcendantale. Ceci est bénéfique pour calmer et détendre l’esprit.
Cependant, sans comprendre la nature de la souffrance dont ils font l’expérience, ou comment la Pleine Conscience a tout une gamme d’effets en réduisant cette souffrance (que nous discuterons en détails dans l’article II), ni les étudiants ni les enseignants ne seraient capables d’appliquer la Pleine Conscience plus spécifiquement et plus efficacement pour transformer les processus qui créent et maintiennent la souffrance. De cette manière, patients et clients ne seraient exposés qu’à une gamme restreinte des ressources thérapeutiques potentiellement disponibles. Pour cette raison, les programmes de Pleine Conscience seraient sans doute moins bénéfiques.
Travailler sans cadre permettant de comprendre comment la souffrance se développe et comment la Pleine Conscience peut guérir cette souffrance renferme une autre limite : lorsque des difficultés ou des obstacles se présentent, il n’y a pas de “feuille de route” à consulter pour trouver une manière alternative d’avancer – tout ce que l’on peut faire est d’essayer d’appliquer les mêmes techniques plus vigoureusement pour “passer à travers” l’obstacle. De plus, sans une certaine compréhension sous-jacente pour guider et motiver, il est difficile pour les étudiants comme pour les enseignants de s’engager dans certains aspects plus complexes de la pratique de la Pleine Conscience – comme “s’approcher” de la souffrance – ce qui, selon l’analyse que nous avons décrite, sont là où réside le plus grand potentiel pour un changement thérapeutique à long terme.
Si nous acceptons qu’il est utile d’avoir un cadre de compréhension pour guider les applications de la Pleine Conscience, quelles sont les forces du cadre que nous avons décrit? Nous allons ici en détailler trois.
D’abord, ce cadre a une application générale: l’analyse dans les Nobles Vérités est destinée à être applicable de la même manière à toute une gamme de souffrances, de la plus simple difficulté à appréhender le sens de l’existence, jusqu’aux problèmes de dépression sévère récurrente ou de trouble panique. Cette application générale signifie que: (1) bien que les enseignants et les patients ou clients puissent vivre des souffrances d’intensités différentes, les mécanismes sous-jacents sont identiques, de sorte que les enseignants peuvent ressentir l’humanité partagée pour leurs étudiants et de la compassion pour ceux-ci. Dès lors, ils peuvent apporter leur propre expérience pour enrichir leur enseignement de la Pleine Conscience; (2) les étudiants peuvent acquérir des compétences et de la compréhension en travaillant avec des souffrances “de tous les jours” de moindre intensité qui sont parfaitement pertinentes pour travailler avec les difficultés plus intenses qui les ont amenés à rechercher de l’aide; et (3) vivre la pratique de la Pleine Conscience dans un programme “thérapeutique” peut ouvrir des portes aux clients ou aux patients qui pourraient seraient intéressés à explorer la pertinence de la Pleine Conscience dans leur vie de manière plus générale.
Deuxièmement, le fait que dukkha soit universel et inévitable étant donnée la manière dont fonctionne notre esprit, peut aider à réduire l’identification de la personne avec la souffrance qui, comme nous l’avons vu, est un aspect central de la création de la souffrance selon l’analyse du Bouddha. Si cette analyse est correcte, cela signifie aussi que la quête séduisante pour n’importe quelle solution pour répondre simplement et rapidement au problème de la souffrance (“si seulement j’avais la bonne voiture, la bonne maison, le bon partenaire, la bonne carrière, le bon look, la bonne connaissance, la bonne communauté, etc, etc, je serais heureux”) est vouée à l’échec. S’il en est ainsi, ce serait bien de le savoir.
Troisièmement, ce cadre de compréhension est celui qui à l’origine a conduit à l’intégration et au développement des pratiques de Pleine Conscience comme composant central d’un programme intégré pour réduire et éliminer la souffrance. Deux millénaires et demi d’expérience d’application de la Pleine Conscience dans ce contexte ont apporté une base inestimable pour affiner et développer l’usage de la Pleine Conscience pour guérir la souffrance. Des preuves anecdotiques au sein de cette tradition apportent aussi une multitude d’exemples montrant que, lorsqu’elle est guidée par ce cadre de compréhension des Quatre Nobles Vérités, la Pleine Conscience « fonctionne ». La plupart des preuves récentes, plus systématiques, que la Pleine Conscience, sous la forme de Réduction du Stress basée sur la Pleine Conscience (MBSR) et de Thérapie Cognitive basée sur la Pleine Conscience (MBCT), « fonctionne » vient aussi d’études dans lesquelles les instructeurs ont travaillé dans une compréhension de la Pleine Conscience reliée, d’une manière ou d’une autre, au cadre proposé par le Bouddha.
(Traduit par Marie-Claude Dubois et Gwénola Herbette)